La gymnastique de l’homme qui travaille

January 9, 2024By 0

« Die Gymnastik des Berufsmenschen » est le texte d’une conférence qu’Elsa Gindler, professeure de Lily Ehrenfried, donna en 1926. Il a été publié la même année dans la revue « Gymnastik » de la Fédération de Gymnastique Allemande, fédération que Gindler contribua à créer en 1925 et dont elle fut présidente jusqu’à sa dissolution en 1933.

Nous avons choisi de sélectionner plusieurs extraits dans lesquels Gindler met l’accent, de façon tout à fait révolutionnaire pour l’époque, sur l’importance de la conscience corporelle.

Traduction : Geneviève Renaud et Anne-France Bienassis.


…Il m’est difficile de parler de gymnastique car le but de mon travail n’est pas que les élèves apprennent des mouvements déterminés, mais qu’ils accèdent à un certain état de concentration.
Ce n’est que par la concentration qu’on peut atteindre un fonctionnement impeccable du corps en relation avec la vie intellectuelle et psychique.
C’est pourquoi nous incitons nos élèves, dès la première leçon, à aborder et à approfondir en toute conscience le travail…
Je parle de la conscience qui est au centre, qui réagit à ce qui l’entoure, qui est capable de penser et de sentir.Je renonce volontairement à définir cette conscience, comme âme, psyché, esprit, sentiment, subconscient, individualité, voire âme du corps. Pour moi, il y a tout cela dans le petit mot « je ».
Je conseille toujours à mes élèves de remplacer le mot que j’utilise pour m’adresser à eux par celui qu’ils emploient pour se désigner eux-mêmes, afin d’éviter tout nœud dans leur psyché, et qu’ils ne perdent pas un temps précieux en spéculations sur ce que j’ai bien pu vouloir dire…… Il est clair qu’il ne suffit pas d’apprendre et de savoir faire des exercices de gymnastique pour accéder à la conscience de soi comme globalité. Mais alors, comment y parvenir ? Justement en apprenant à employer toute notre intelligence et toute notre sensibilité pour faire de notre organisme, à l’aide d’exercices de gymnastique, un instrument de vie maniable et adaptable.
Quand nos élèves travaillent, nous veillons à ce qu’ils n’apprennent pas un exercice, mais qu’ils essaient de développer leur intelligence au moyen de cet exercice…

… Quand nous prenons conscience que notre ceinture scapulaire n’est pas placée de façon à faciliter le travail, nous ne la ramenons pas en place par une correction volontaire et extérieure. Ça n’arrangerait rien, car dès qu’on est occupé à autre chose, on oublie sa ceinture scapulaire…
Nous observons d’abord sur un squelette la forme et la fonction de la ceinture scapulaire. Ensuite, nous étudions comment elle peut au mieux accomplir sa tâche, puis nous revenons à nous-mêmes, nous comparons, et nous découvrons ce que nous avons à faire… il arrive ainsi que chaque élève trouve tout à coup l’exercice qui lui convient.

Chacun dans la classe travaille différemment et pourtant il règne une concentration et un silence qu’on nous envierait dans bien des amphithéâtres… …

Ce que nous obtenons par cette manière de procéder est essentiel : l’élève commence à pressentir qu’il peut, s’il le veut, travailler l’ensemble de son corps exactement comme il l’a fait pour sa ceinture scapulaire. La conscience qu’il a de lui-même s’accroît. Il s’approprie la matière enseignée. Il est encouragé. Un tel résultat ne peut pas être obtenu par des exercices aussi réfléchis soient-ils…

… Aussi sommes-nous toujours gênés qu’on appelle notre travail « gymnastique ». Pour la plupart des gens, la gymnastique est synonyme d’exercices déterminés, si bien que la première question qui nous est posée au sujet de notre travail concerne toujours « les exercices types ». A cela, nous ne pouvons que répondre : ce n’est pas la gymnastique qui importe, mais l’attention avec laquelle on la pratique et l’esprit dans lequel on travaille…